En discutant avec une amie récemment, je ne sais pas trop comment on en est arrivées là, à un moment, je me suis mise à lui expliquer que Mawu (Dieu en mina*) était à l’origine une divinité féminine et je lui ai raconté comment les colons, par le biais du christianisme, ont réussi à la transformer en Dieu masculin dans la conscience collective.

Elle était tellement surprise d’apprendre ça, surtout à son âge que je l’ai rassurée sur le fait qu’elle n’était surement pas la seule à l’ignorer parce que le travail des missionnaires chrétiens en Afrique a été d’une précision chirurgicale et terriblement bien exécuté.

Elle m’a ensuite confié à quel point me lire lui manquait et que ce ne serait pas une mauvaise idée que j’en parle sur mon blog. Soooo, meuf, this one is for you. Et pour vous qui tomberez sur cet article et découvrirez peut-être vous aussi pour la première fois cette histoire.

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Le génie (maléfique évidemment mais ça reste du génie) des missionnaires catholiques (enfin, chrétiens en général), c’est qu’ils savaient que détruire frontalement une croyance spirituelle, c’est risquer la résistance. Alors ils ont choisi la méthode lente. Vous savez, celle qui s’infiltre dans la langue, la mémoire et l’imaginaire.

Ils ont eu des siècles de pratique en commençant d’abord chez eux. Le christianisme n’a pas commencé son travail d’annihilation des divinités par l’Afrique. Non, non, non. Ils avaient déjà bien rôdé leur méthode en Europe en effaçant les divinités celtiques, nordiques et romaines et en transformant des temples en églises et des fêtes païennes en célébrations chrétiennes. Puis ils ont appliqué la même méthode en Asie, en Amérique et jusque dans les îles du Pacifique.

Partout où les colons européens posaient le pied, le scénario se répétait. Ils commençaient par cartographier le sacré local, c’est-à-dire qu’ils identifiaient les lieux de culte, les divinités les plus vénérées, les rituels essentiels à la vie communautaire et ensuite venait l’opération de remplacement. Les temples/couvents locaux devenaient des églises/monastères, les fêtes saisonnières prenaient le nom de saints ou de fêtes chrétiennes et les récits mythologiques étaient re-adaptés pour servir la nouvelle foi.

C’est pour ça que les chrétiens fervents me font hurler de rire quand ils jugent parce que gaaaars, ta fête de Pâques là, c’est que du rebranding. A la base c’était et c’est toujours une grande fête païenne qui célèbre l’équinoxe du printemps (les lapins et les oeufs duh). L’Église l’a simplement repeinte (comme les œufs de Pâques) en version chrétienne pour que ça colle à son agenda. Et ce n’est pas un cas isolé.

Noël? Jésus n’est pas né un 25 décembre. Faut être con pour ne pas faire la corrélation entre la « naissance de Jésus » et les célébrations du solstice d’hiver. Bref, un plan parfait pour récupérer la ferveur populaire et la rediriger vers la nouvelle foi.

En gros, une bonne partie du calendrier chrétien n’est que du recyclage stratégique de fêtes et de célébrations « païennes » car ils avaient compris qu’il était impossible de détruire ce que les gens aiment, mais les remplacer, c’était du génie. On garde la forme/le nom mais on le vide de sa substance. On garde les symboles, on change le sens et on réécrit l’histoire autour et en deux ou trois générations, POUF, plus personne ne se souvient de l’original. Et c’est exactement ce qui est arrivé à Mawu.

Avec Mawu, le processus fut particulièrement insidieux car ils ont conservé le nom mais changé le genre. Eh oui, dans le panthéon Fon-Ewe, Mawu n’était pas un « dieu » mais la Déesse mère de toutes les autres divinités et de la création. Associée à la lune et à la sagesse intuitive, elle incarne la souveraineté divine féminine en parfaite complémentarité avec Lissa ou Lisa, son principe masculin/jumeau.

Pourtant, demandez aujourd’hui à un(e) togolais(e) de décrire Mawu, la réponse sera quasi systématiquement un homme, vieux et barbu étrangement calqué sur le Dieu biblique. Et dites-vous que lorsque la mémoire d’un peuple repose sur une tradition orale, changer le sens des mots, c’est hacker tout un système spirituel et culturel. Modifier la signification d’un nom sacré et lui changer de genre, c’est reprogrammer non seulement la manière dont un peuple perçoit le divin, mais aussi la place et la valeur du féminin dans leur monde.

Le christianisme a remplacé toutes nos divinités féminines puissantes par la pâle figure de Marie, mère de Jésus, douce, obéissante, silencieuse et dépourvue de pouvoir propre.

Rappelez-vous. Marie a d'abord remplacé les déesses celtiques, égyptiennes, grecques, romaines, mésopotamiennes et bien d'autres avant de remplacer les nôtres. Pour que vous compreniez, les statues d’Isis tenant Horus dans ses bras étaient partout, d’Égypte à la Gaule. Les mères la priait pour protéger leurs bébés et l’Église voyant l’attachement populaire à cette image l’a conservée et l'a rhabillé de bleu et de blanc. Isis est devenue Marie. Mais là où Isis était reine et magicienne, Marie est devenue servante et passive. Là où Isis agit, Marie obéit. 

Même l’enfant qu’elle a eu n’est pas le fruit de son désir, de son choix ou de sa puissance créatrice mais d’une décision divine imposée, sans qu’elle n’ait eu son mot à dire. Et pour parfaire ou rendre le tableau plus creepy, elle reste vierge éternellement, comme si même son propre sexe ne lui appartenait pas et cette virginité perpétuelle présentée comme un idéal de pureté est en réalité un effacement complet de sa souveraineté corporelle faisant passer le message que le corps féminin ne peut être sacré que s’il est fermé, docile et contrôlé.

L’Église n’a pas juste éradiqué les déesses, elle les a vidées. Les gestes, les prières, les processions sont restés mais les divinités sont devenues des icônes muettes. On a remplacé l’énergie créatrice, sexuelle et souveraine des déesses par un modèle unique : celui de la mère obéissante, asexuée et dépendante de la volonté d’un Dieu masculin.

Pendant des millénaires, les femmes avaient un miroir divin qui leur montrait qu’elles pouvaient être souveraines de leurs corps, de leur sexualité et de leurs décisions. Avec l’arrivée du christianisme, ce miroir a été brisé et remplacé par une image filtrée. La femme idéale était désormais servile et silencieuse.

Là où nos divinités féminines régnaient sur la mer, la fertilité, les récoltes, la pluie, la guérison ou la richesse, là où nos déesses décidaient par elles-mêmes de donner la vie ou de la reprendre, de bénir ou de punir, Marie n’est plus qu’une intermédiaire. Elle console, mais ne commande pas. Elle ne donne rien par elle-même, elle prie son Fils pour vous. On est passé d’un féminin source à un féminin désincarné.

Et aujourd’hui encore, cette programmation reste active car ancrée dans nos silences, dans nos compromis et dans notre façon (qu’on soit homme ou femme) de juger ce qui est “respectable” ou non chez une femme.

Ce féminin désincarné, les églises africaines en sont la vitrine. Elles débordent de femmes attendant des miracles d’un Dieu masculin auquel elles confient tout : leurs corps, leurs vies et leurs destins. Elles jeûnent, prient, pleurent et dansent pendant des veillées entières pour “toucher le cœur de Dieu”. Un Dieu qui dans le modèle qu’on leur a inculqué ne répond qu’à travers un pasteur ou un prophète (presque toujours un homme) qui devient non seulement l’unique canal de leur spiritualité, mais leur impose aussi de porter financièrement la structure, d’assurer la logistique, de nettoyer, de cuisiner… parce qu’on leur a appris que leur rôle est de servir, de prier et d’attendre.

Elles ont le feu dans le cœur mais on leur a interdit de l’utiliser pour allumer leur propre lumière. Et comme la nature a horreur du vide, cette énergie et ce feu sont redirigés vers le même système qui les asservit et les maintient dans l’attente. Attendre un mari, attendre un miracle, attendre que Dieu change leur vie… Attendre… parce que depuis qu’on a effacé Mawu et les autres mères divines, on leur a fait croire que leur pouvoir devait toujours passer par les mains d’une tierce personne.

C’est pour ça que réhabiliter Mawu, Mami Wata, Avlékété, Yevu et toutes les autres n’est ni un caprice nostalgique ni un rejet systématique du christianisme. C’est reconnaître que pendant des décénnies, le féminin a été volontairement dépouillé de sa voix divine, de ses pouvoirs et de sa souveraineté jusqu’à ce que même son nom serve un autre visage. Oui, Mawu est une femme. Et nommer à nouveau ces divinités, c’est nous nommer nous-mêmes.

C’est redonner à nos cultures un pan entier de leur cosmologie. Aux femmes, l’image d’un pouvoir qui leur a été subtilisé mais qui n’a jamais cessé d’exister sous la surface. Et à nos sociétés la possibilité d’un équilibre perdu où le féminin peut être fort sans que le masculin ne se sente diminué et où la souveraineté divine ne se décline pas uniquement au masculin.

Heureusement que leur mémoire persiste et qu’elles continuent de vivre dans nos prénoms, dans l’ondulement de nos bassins, dans notre intuition et dans le rythme de nos chants et de nos danses. Elles survivent, même dans ces processions catholiques qui portent sous le vernis liturgique, les gestes et les couleurs de nos folklores aujourd’hui diabolisés.

C’est d’ailleurs là où l’univers est joueur car en croyant imposer Marie, les missionnaires ont involontairement offert un refuge aux déesses. Elles attendent simplement qu’on prononce à nouveau leurs vrais noms… Nana Buluku, Mawu, Mami Wata, Erzulie, Avlékété, Yévu, Gbadu…

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